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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Chacun de ses votes serait commenté, interprété ; il livrerait à ses ennemis mille prétextes. Louis Bonaparte comprit la justesse de ces avis. Il ne se sentait nul talent oratoire, ni enthousiasme, ni mouvement, rien qui pût entraîner une assemblée. Il voyait, d’ailleurs, le flot populaire venir à lui et se grossir contre les obstacles ; tout lui conseillait de temporiser ; en conséquence il adressa au président la lettre suivante, qui fut lue à la tribune, dans la séance du 15 juin :

« Monsieur le président, je partais pour me rendre à mon poste, quand j’apprends que mon élection sert de prétexte à des troubles déplorables et à des erreurs funestes. Je n’ai pas cherché l’honneur d’être représentant du peuple, parce que je savais les soupçons injurieux dont j’étais l’objet. Je rechercherais encore moins le pouvoir. Si le peuple m’imposait des devoirs, je saurais les remplir ; mais je désavoue tous ceux qui me prêtent des intentions que je n’ai pas. Mon nom est un symbole d’ordre, de nationalité, de gloire, et ce serait avec la plus vive douleur que je le verrais servir à augmenter les troubles et les déchirements de la patrie. Pour éviter un tel malheur, je resterais plutôt en exil. Je suis prêt à tout sacrifier pour le bonheur de la France. »

Cette lettre causa dans l’Assemblée une sensation désagréable. Elle avait dans son renoncement un ton de hauteur singulier. Le général Cavaignac y releva l’omission significative du mot de république. MM. Antony Thouret, Baune, David (d’Angers) signalèrent à l’attention cette phrase étrange : Si le peuple m’imposait des devoirs je saurais les remplir. M. Jules Favre, faisant en quelque sorte amende honorable de son discours du 13, demande que la lettre et l’adresse aux électeurs qui l’accompagne soient déposées entre les mains du ministre de la justice, afin qu’il y donne telle suite qu’il avisera. M. Duclerc vient dire que le gouvernement connaît les menées tramées par les bonapartistes, mais qu’il ne veut pas de précipitation, et il propose le renvoi de la discussion à demain. « À demain ! s’écrie