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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

l’on veut substituer dans l’esprit de la nation au culte sérieux de la liberté[1]. Il proteste contre ce grand mouvement donné par le gouvernement même au sentiment des masses ; contre ces spectacles, ces récits, ces publications populaires, contre ces bills d’indemnité donnés au despotisme heureux. Il affirme qu’il y a grand péril, non-seulement pour l’esprit public, mais aussi pour la monarchie représentative. Puis, après avoir examiné les divers lieux proposés pour l’érection d’un monument, il désigne le champ de Mars, afin de bien indiquer que c’est au grand capitaine et non au souverain que l’on bâtit une tombe. Il propose comme la seule inscription qui réponde à la fois à l’enthousiasme et à la prudence — : À Napoléon… seul.

« Cette inscription, dit-il, attestera aux générations présentes et futures que la France ne veut susciter des cendres de Napoléon ni la guerre, ni la tyrannie, ni des légitimités, ni des prétendants, ni même des imitateurs ! »

Lorsque M. de Lamartine, moins de huit ans après ces paroles prophétiques, les vit si près de se réaliser ; quand cette puissance d’un nom, prédite par lui et qu’il croyait fatale, surgit subitement à ses yeux du sein d’une démocratie à peine formée, il résolut de la combattre sans perdre un jour, et, pour ainsi dire, corps à corps, dans l’Assemblée d’abord, puis, s’il le fallait, dans la rue.

Entre une popularité due aux plus beaux dons du génie, aux plus grands services rendus, tout à l’heure, à la cause de la liberté, et les souvenirs d’un temps déjà lointain ; entre un citoyen aimé, honoré de tous, et un prétendant inconnu au pays ; entre celui que chacun nommait le Washington de la France et le neveu de l’Empereur, la démocratie hésiterait-elle ? l’esprit, le cœur du peuple pourraient-ils balancer ? M. de Lamartine pensa qu’il combattrait du moins à armes égales.

  1. Voir, au Moniteur, le discours de M. de Lamartine, séance du 26 mars 1842.