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HISTOIRE

embarrassée. Le président Pasquier l’avait accablé de son dédain. Tous les journaux abandonnèrent à l’envi le prétendant malheureux. La Presse, en racontant ce qu’elle appelait l’équipée de Boulogne, disait que personne en France ne pouvait honorablement éprouver la moindre sympathie, ni même la moindre pitié, pour ce jeune homme qui paraissait n’avoir pas plus d’esprit que de cœur[1]. Une seule voix osa s’élever en faveur du prisonnier : ce fut celle de M. Louis Blanc, qui, sans justifier les prétentions impériales, protesta avec beaucoup de force, dans la Revue du progrès, contre le principe des juridictions spécialement politiques.

Mais la longue captivité de Ham parla plus haut dans l’esprit du peuple que les railleries de la presse et des salons ministériels. J’ai déjà eu occasion de le remarquer, le peuple n’est que très-médiocrement sensible à ce que nous appelons le ridicule ; il est, au contraire, plein de compassion pour le malheur, mérité ou immérité. La prison de Ham servit immensément la cause napoléonienne. Les soldats de garde dans la forteresse s’attendrissaient sur le sort du neveu de l’Empereur, on ne parvenait pas à les empêcher de lui rendre les honneurs militaires ; rentrés dans les casernes, ils y rapportaient ses propos affables, ils vantaient son courage. Louis-Napoléon, qui possédait à un rare degré le don de se conformer aux circonstances et d’en tirer parti, tourna cette sévère solitude au profit de son instruction et de sa popularité. Il y vécut avec une sobriété favorable au travail. S’étant formé une bibliothèque considérable, il lut, il étudia, il acquit des connaissances solides.

Renonçant en apparence à son rôle de prétendant, il entra en correspondance avec les hommes les plus distingués du parti démocratique et parut ne plus songer qu’aux intérêts du pays et à la prospérité de la France. Les per-

  1. Voir la Presse, numéro du 8 août 1840.