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HISTOIRE

geons. Les divinités de marbre, noircies sous la brume d’hiver, semblaient se ranimer dans l’atmosphère transparente qu’attiédissaient les premiers rayons du soleil de mars ; l’iris parfumait les plates-bandes. Les enfants parisiens accoururent et se répandirent dans ces vastes espaces, sans se douter que le sable qu’ils foulaient de leurs rondes joyeuses avaient enseveli des cadavres. Les oiseaux n’avaient pas interrompu leurs gazouillements pour écouter les cris de mort de la guerre civile. Le sang humain n’avait pas empêché la violette de fleurir. Les cygnes nageaient paisiblement en cercle au bord des bassins, attendant le pain accoutumé. L’enfance et la nature sont soumises aux seules lois divines : elles ne sentent pas l’atteinte des révolutions qui bouleversent les institutions humaines.

Le 15 mai suivant, le général Courtais et son état-major, après avoir éconduit le capitaine Saint-Amand, s’installèrent dans les Tuileries. Les invalides civils furent peu à peu envoyés dans les hospices de Paris et de la banlieue. Le gouvernement provisoire décréta la jonction des Tuileries et du Louvre ; il décida que ce vaste édifice prendrait désormais le nom de Palais du Peuple. Mais ce projet, comme tant d’autres, demeura inexécuté, et le palais des Tuileries attend encore à l’heure où j’écris une destination convenable.

Pendant que les événements que je viens de rapporter se passaient au grand jour et jetaient dans la stupéfaction les habitants des riches quartiers dont les Tuileries forment le centre, il se jouait à la préfecture de police et au Luxembourg une scène qui resta longtemps enveloppée de mystère, et qui, si elle eût été connue, eût frappé les imaginations d’une terreur bien plus grande encore. Un tribunal secret, réuni sur le simple appel d’un homme que rien n’autorisait à un pareil acte d’autorité, se rassemblait de nuit au Luxembourg, et là, à la façon du Vehmgericht, il faisait comparaître un accusé, l’interrogeait le déclarait coupable, et, après l’avoir menacé de mort, il ne lui faisait