Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/297

Cette page a été validée par deux contributeurs.
293
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

encore à ce premier période où il se fait jour par les propos moqueurs dans la fête de la Concorde, chaque chose devint matière à raillerie. On rit du char de l’Agriculture, traîné sur le programme par des bœufs à cornes dorées, mais en réalité par vingt chevaux de labour ; on persiffla les cinq cents jeunes filles couronnées de chêne qui suivaient le char ; on se moqua de la statue de la République et des quatre lions couchés à ses pieds ; on s’obstina, enfin, à ne voir dans la fête de la Concorde qu’un mauvais pastiche de la fête à l’Être suprême[1]. Combien l’on était loin, en 1848, de cette disposition naïvement déclamatoire, qui permettait, en l’an III, au peintre David, de célébrer dans son programme, le peuple laborieux et sensible ; d’inviter les mères à s’enorgueillir de leur fécondité ; les jeunes filles à promettre au pied des rameaux protecteurs de l’arbre de la liberté, de n’épouser jamais que les hommes qui auraient servi la patrie ; de faire périr, enfin, dans les flammes et rentrer dans le néant le monstre désolant de l’athéisme[2].

La commission exécutive, en ordonnant une semblable fête, montrait assez qu’elle avait complétement perdu ce tact, cette divination de l’état des esprits, qui sont l’un des secrets de l’art de gouverner. Le refus de l’archevêque de Paris de se joindre au cortége aurait dû lui servir d’avertissement. En lisant dans le Moniteur le programme de la fête de la Concorde, en voyant la place assignée au clergé, derrière le char de l’Agriculture, après les choristes de l’Opéra, l’archevêque comprit que le peuple allait tourner toutes ces choses en ridicule, et il fit dire aux ordonnateurs de la fête que ni lui ni aucun prêtre n’y assisteraient. Ce refus n’était pas sans gravité. C’était le premier acte d’op-

25
  1. « On ne fait pas les fêtes, les fêtes se font ; » me disait M. de Lamennais, que frappaient comme moi la froideur extrême du peuple, en cette solennité, et les observations malignes de la bourgeoisie.
  2. Voir le curieux programme du peintre David, pour la fête à l’Être suprême, du 20 prairial an III.