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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ques clubistes entrent en pourparlers avec les gardes nationaux ; ils affirment qu’un nouveau gouvernement est proclamé ; que l’Assemblée est dissoute ; que quatre-vingt mille prolétaires marchent sur l’Hôtel de Ville ; que la garde mobile est avec eux. Soit qu’on ne pût croire à une telle audace de mensonge, soit que la vue des uniformes des gardes nationaux qui se trouvent parmi les insurgés donne le change, soit surtout que le souvenir du 24 février trouble les esprits, les quatre à cinq mille hommes qui occupent la place se dispersent.

Le colonel les laisse faire ; il n’avait pas d’ordre écrit ; et, comme il l’a dit plus tard, il se rappelait l’affaire de Bailly au champ de Mars, « qui avait payé de sa tête, deux ans plus tard, l’ordre de faire tirer sur le peuple[1]. » Voyant cela, la garde républicaine, postée derrière la grille, n’oppose qu’une molle résistance à l’invasion populaire. Quelques ouvriers escaladent la grille ; on l’ouvre ; la foule se précipite, elle monte le grand escalier, remplit tumultuairement les couloirs, les salles du premier étage ; des centaines de proclamations sont jetées par les fenêtres sur la place.

Sur ces entrefaites, Barbès et Albert, sortis ensemble de l’Assemblée nationale et suivis d’une centaine de personnes environ, arrivent devant le perron de l’Hôtel de Ville.

Barbès est pâle, défait ; il semble exténué, agité des inquiétudes les plus vives. « Vous nous perdez, murmure-t-il en promenant sur son entourage des regards éteints et cherchant vainement dans la foule un visage ami ; vous perdez la République. » Il ne se trompait pas, tout était manqué.

Au sortir de l’Assemblée, tous les chefs, traîtres ou non, s’étaient dispersés. La manifestation avait disparu. Les ouvriers des ateliers nationaux, qui s’y étaient joints au nombre de douze à quatorze mille, ont été emmenés avant même que d’entrer à l’Assemblée, par leurs brigadiers,

  1. Voir au Procès de Bourges.