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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

péristyle. M. Raspail, toujours au bas de la tribune, appuie cette motion, à laquelle Flotte et quelques autres ne répondent que par des rires moqueurs ; le mot de trahison est prononcé : « C’est comme au 16 avril » s’écrie-t-on. Mais Raspail persiste à soutenir M. Ledru-Rollin et déclare, en élevant la voix, qu’il ne reconnaît plus comme républicain quiconque ne se retire pas à l’instant même. Le président est serré de près par les factieux. Debout derrière son fauteuil, Laviron, qui porte l’uniforme de capitaine d’artillerie, communique du geste avec un groupe d’hommes armés, qui épient le moindre de ses mouvements. L’exaltation de ces hommes est au comble ; ils ne savent plus ni ce qu’ils veulent, ni ce qu’ils disent. Le moindre incident, une arme déchargée par hasard, peut en ce moment amener d’affreuses catastrophes. Barbès lui-même ne se connaît plus ; la vue de Blanqui lui ôte tout son sang-froid ; il veut tenter un effort suprême pour arracher à Blanqui sa popularité usurpée. Il monte à la tribune, et d’une voix qui, malgré son trouble intérieur, reste calme et empreinte d’un certain caractère de solennité, avec l’accent et le geste d’un homme qui se voue au martyre pour sauver sa cause, il demande à l’Assemblée d’accéder au vœu du peuple ; il la somme en quelque sorte de voter le départ immédiat d’une armée pour la Pologne ; et s’apercevant sans doute que ces motions ne produisent plus aucun effet sur les énergumènes qui l’entourent, il recourt à un moyen extrême et qu’il juge infaillible : il demande un impôt d’un milliard sur les riches.

Mais à ce moment un mouvement extraordinaire se fait dans la foule ; Barbès s’interrompt ; il questionne. On dit qu’on entend battre le rappel. « Le rappel ! s’écrie Barbès ; pourquoi le rappel ? On nous trahit ! à bas les traîtres ! Hors la loi celui qui fait battre le rappel ! » À ces mots, on se précipite vers le président, qui, en effet, depuis quelques instants, a trouvé moyen, quoique entouré par les séditieux, de signer et de remettre à un officier d’état-major l’ordre adressé au général Courtais et aux officiers des lé-