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HISTOIRE

M. Blanqui lui-même, qui n’augurait pas favorablement d’une tentative si mal combinée, combattait dans son club les excitations de plusieurs orateurs qui parlaient d’aller nettoyer les écuries d’Augias, et il promettait à M. de Lamartine de dissoudre la manifestation s’il ne parvenait pas à la contenir.

Quant à M. Raspail, tout en cédant aux passionnés de son club, qui avaient exigé qu’il rédigeât une pétition pour la Pologne, il avait bien établi qu’il fallait se borner à produire une impression morale, et à s’assurer du droit révolutionnaire d’apporter les pétitions à la barre de l’Assemblée. Enfin, dans un dernier conciliabule tenu le 15, à une heure du matin, au boulevard Bonne-Nouvelle, entre les plus déterminés clubistes et sectionnaires, il avait été arrêté, après une discussion très-vive, qu’il fallait empêcher la manifestation, parce qu’elle était conduite par Huber, dans un but hostile à M. Ledru-Rollin, sous la direction occulte de M. Marrast et des modérés de l’Assemblée.

Parmi les ouvriers, le plus grand nombre étaient d’une bonne foi parfaite dans l’expression de leurs sympathies pour la Pologne et ne songeaient aucunement à renverser le gouvernement, encore moins à chasser l’Assemblée. Ce fut par les cris de : Vive la Pologne ! vive la République ! que les corporations, les clubs et les délégués du Luxembourg se saluèrent en arrivant, le 15 mai, à dix heures du matin, sur la place de la Bastille. Ils se rangèrent dans le plus grand ordre et se mirent lentement en marche par les boulevards. Huber et Sobrier conduisaient la colonne, où l’on voyait flotter, entre les soixante-dix bannières des ateliers nationaux, les drapeaux des nations étrangères ornés de rubans, de fleurs et de feuillages. Une foule de curieux affluaient dans les contre-allées et se montraient l’un à l’autre l’aigle de la Pologne, la harpe de l’Irlande, les trois couleurs italiennes ; beaucoup de gardes nationaux des provinces, venus pour assister à une fête que l’Assemblée devait donner le 13, et qu’on avait ajournée dans la crainte