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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ne trouvait que trop d’échos dans les imaginations populaires, surexcitées par la facile victoire de février ; la conscience politique du peuple fut faussée par des prédications extravagantes, avant même de s’être formée ; le vertige d’une tyrannie démocratique emporta les esprits. Toutes les apparences du droit et de la raison furent abandonnées, comme à plaisir, aux ennemis de la démocratie, dans la lutte que nous allons voir si témérairement engagée par des hommes sans génie et par des chefs subalternes.

Une imprudente provocation de M. Louis Blanc fut l’avantcoureur des hostilités.

Le 10 mai, c’est-à-dire le jour même où l’auteur de l’Organisation du travail se voyait exclu du nouveau pouvoir exécutif, dans un moment où la plus extrême réserve lui était commandée, M. Louis Blanc montait à la tribune et demandait à une Assemblée prévenue à l’excès contre lui la création d’un ministère du travail et du progrès. À une heure mieux choisie, et venant d’une autre bouche, cette proposition aurait été peut-être l’objet d’une discussion utile ; mais, dans les circonstances données, quand l’opinion se retirait visiblement de lui, M. Louis Blanc ne pouvait se flatter qu’il obtiendrait de l’Assemblée une concession que le gouvernement provisoire, malgré les intimidations du 26 février et du 17 mars, lui avait obstinément refusée en affrontant une impopularité redoutable. Une pareille tentative était tout à fait impolitique, car elle allait, sans nécessité, jeter une plus grande défaveur sur son auteur dans les rangs de l’Assemblée et venir en aide aux cabales des factieux qui travaillaient à discréditer l’Assemblée dans les rangs du peuple. Le discours de M. Louis Blanc se ressentit, d’ailleurs, de la gêne d’une situation fausse. En disant des choses vraies, il parut personnel et devint irritant. De fréquents murmures l’en avertirent. Plusieurs républicains protestèrent contre la prétention que semblait afficher M. Louis Blanc de représenter, à lui seul, la cause populaire : « Nous sommes tous ici pour le peuple et pour