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HISTOIRE

M. de Lamennais. L’illustre vieillard, sorti brusquement de sa retraite au bruit du tocsin, apportait dans la lutte quotidienne du journalisme où l’avaient jeté la fougue de son caractère et l’ardeur du sang breton, des habitudes de style d’une majesté toute philosophique. Sa diction superbe et son accent sacerdotal ne transmettaient point à ses lecteurs la fièvre révolutionnaire dont son âme était tourmentée. S’il pensait souvent comme Danton, il parlait toujours comme Bossuet. Quand la passion le voulait faire journaliste, la forte discipline de son esprit le contraignait à rester Père de l’Église ; le peuple, qui ne connaît pas ces contradictions du génie, demeurait insensible à une éloquence dont le caractère était opposé à l’inspiration et qui n’empruntait rien au temps ni à la circonstance.

Les relations personnelles de M. de Lamennais avec M. de Lamartine, qui le consultait fréquemment dans des réunions intimes, son aversion profonde pour les théories communistes, le rangeaient, en dépit de ses entraînements, du côté modéré du gouvernement provisoire. Aussi désintéressé à défendre la propriété, lui qui ne possédait rien, que Barbès, riche propriétaire, à prêcher le communisme, il exerça pendant quelque temps, sur plusieurs des hommes les plus exaltés de la révolution, une action modératrice, et ce ne fut qu’après la retraite du gouvernement provisoire qu’il entra dans les voies de l’opposition socialiste.

Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, durant ces premiers mois de la République, malgré une certaine violence dans les clubs et dans les journaux, malgré une ostentation de terrorisme chez quelques meneurs, la pensée générale était portée à soutenir le gouvernement provisoire et plus particulièrement, dans le gouvernement, M. de Lamartine. Nous avons vu que les principaux chefs de secte et d’école, MM. Barbès, Raspail, Cabet désiraient sincèrement s’entendre avec lui. M. Ledru-Rollin, qui commençait à rêver la dictature, ne croyait pas pouvoir écarter M. de Lamartine. Madame Sand, accourue du Berri à la nouvelle de la révolution et