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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

tonnière ; mais, sous cette uniformité extérieure de costume, les contrastes politiques et sociaux les plus piquants abondaient et excitaient la curiosité des spectateurs. Ainsi, M. Barbès venait s’asseoir auprès de ses anciens juges, et dans l’acclamation de la République, sa voix se mêlait aux voix de ceux-là mêmes qui avaient naguère prononcé sur lui la sentence de mort ; le P. Lacordaire, dans son blanc vêtement de dominicain, apparaissait comme le fantôme de l’inquisition entre l’israélite Crémieux et le pasteur protestant Coquerel ; le paysan du Morbihan et l’ouvrier de Vaucluse apportaient dans l’urne législative une boule de même poids que le savant de l’institut et le lettré de l’Académie française ; deux Bonaparte, envoyés par la Corse, siégeaient en face d’un la Rochejacquelin ; des fils de régicides y coudoyaient des fils de chouans, et, par l’effet merveilleux de cette pénétration de l’esprit moderne qui s’assimile tout, ni les uns ni les autres ne s’étonnaient de se trouver ensemble.

Le contraste que présentaient les tribunes n’était pas moins frappant. Entre la tribune diplomatique, représentation officielle des royautés légitimes, et la tribune de la garde nationale, qui rappelait particulièrement la royauté quasi légitime de Louis-Philippe, la tribune accordée aux délégués des clubs figurait le mouvement et le tumulte révolutionnaires. Enfin, le seul aspect de l’Assemblée, la réflexion que la diversité inouïe de ses éléments ne pouvait manquer de faire naître, était un argument en faveur du gouvernement républicain.

Une forme de gouvernement, qui retirait à tous les partis la prédominance exclusive pour donner à la conscience publique le temps de se former et la faculté de s’exprimer librement, était sans contredit la meilleure, la plus facilement acceptable, dans l’état de nos mœurs et de nos croyances. Une Assemblée issue du suffrage universel, et souvent renouvelée, était le gouvernement le plus apte à favoriser, sans le comprimer ni le précipiter, le mouvement des esprits.