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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

quoi il retourna à ses occupations habituelles et, du fond de sa retraite, en publiant un journal quotidien, il agita l’opinion plus fortement, plus profondément que ne le firent les hommes les plus mêlés à la multitude. Le Représentant du peuple prit des allures inaccoutumées dans la presse. Il ne se rangea sous aucune bannière. Attaquant d’une verve hautaine aussi bien la majorité que la minorité du gouvernement, gourmandant les clubs, les journaux, la place publique, jugeant dédaigneusement et raillant sans pitié tantôt les républicains du National, tantôt les jacobins, tantôt les communistes, M. Proudhon surprenait chaque matin ses lecteurs qui avaient peine à concilier le ton et l’allure de sa polémique contre les révolutionnaires avec ce que l’on connaissait de ses opinions ultra-radicales. À tout moment, il paraissait en contradiction avec lui-même, parce qu’au lieu de chercher les moyens d’organiser la démocratie, son radicalisme négatif se donnait pour tâche la désorganisation de tous les pouvoirs. Il ne croyait pas que la révolution eût autre chose à accomplir que la destruction de toutes les entraves qui gênaient la spontanéité de l’instinct social. Plus de clergé, plus d’armée, plus de magistrature, plus de propriété, l’absence de tout gouvernement, l’an-archie[1], c’est-à-dire la société livrée à ses propres forces, c’était là l’idéal philosophique de M. Proudhon ; mais, comme cette vue générale variait à l’infini dans les applications particulières, il en résultait des inconséquences, des revirements, des soubresauts, toute une manière de dire imprévue, saisissante, qui excitait au plus haut point la curiosité publique.

Il n’en allait pas ainsi du Peuple constituant, fondé par

  1. M. Proudhon empruntait cette expression, dont on lui attribua l’invention, à J. J. May, l’un des communistes qui fondèrent, en 1841, l’Humanitaire. Dans l’exposition des doctrines de l’école, May disait entre autres choses « Le gouvernement démocratique doit être anarchique dans l’acception scientifique et non révolutionnaire du mot. Une République sans président est un gouvernement anarchique, c’est-à-dire sans chef, etc. »