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HISTOIRE

À Limoges, où la fabrique de porcelaine occupe plus de six mille ouvriers, et qui compte environ treize mille indigents sur une population de cent mille âmes, le peuple arracha les bulletins de vote aux mains des scrutateurs et désarma la garde nationale. Le 27 avril, les ouvriers de Rouen, irrités par l’échec de leur liste, qu’ils avaient faite beaucoup trop exclusive[1], et par des provocations imprudentes de la garde nationale qui, depuis la journée du 16 avril, se montrait animée d’un mauvais esprit de réaction, coururent aux armes. Le combat s’engagea ; il dura deux jours, si toutefois on peut appeler combat la lutte inégale d’une masse populaire, à peu près dépourvue d’armes et de munitions, mêlée de femmes, de vieillards et d’enfants, sans chef militaire, contre les troupes les mieux disciplinées, agissant de concert avec la garde nationale ; la disproportion entre le chiffre des morts et des blessés, chiffre considérable dans les rangs du prolétariat[2], et si peu élevé dans les rangs de la troupe qu’on a pu dire que ni un soldat ni un garde national n’avaient péri, témoigne assez de cette inégalité. Cependant le général Gérard, qui commandait à Rouen, fit sur le combat un rapport dont le langage sévère, et sans aucun retour de pitié, blessa ceux-là mêmes d’entre les membres du conseil qui souhaitaient le plus une répression énergique des soulèvements populaires.

MM. Ledru-Rollin et Louis Blanc protestèrent contre ce rapport et demandèrent que le général Gérard parût devant un conseil de guerre ; mais leur demande fut écartée. On chargea M. Frank-Carré, ancien procureur général dans la Seine-inférieure, de dresser une enquête. M. Deschamps

  1. Sur cette liste, composée de 19 noms, il y en avait 10 appartenant au prolétariat.
  2. M. Senard, dans son discours à l’Assemblée nationale (séance du 8 mai 1848), donne les chiffres suivants : 41 barricades, contre lesquelles il aurait été tiré 19 coups de canons ; 11 hommes tués dans le combat, 76 blessés, recueillis dans les hospices et dont 23 y sont morts. Mais ces chiffres paraissent être restés fort au-dessous de la réalité.