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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

la bourgeoisie n’entendait pas donner au peuple une éducation qui l’émancipât et le fit égal à elle en droit et en capacité. Il était donc de toute nécessité que le peuple conquît révolutionnairement l’émancipation politique de fait, pour pouvoir se donner lui-même, avec le temps, l’émancipation morale et de droit.

De cet ordre fatalement interverti par la faute des classes dirigeantes, ressortait pour le pays tout entier un danger très-grave. Dans un pareil état des esprits, il fallait s’attendre à une expression de la révolution outrée chez quelques-uns, insuffisante chez le plus grand nombre[1].

« Vous avez admis le principe, subissez-en la conséquence ; un échec n’est qu’un retard », disait avec beaucoup de raison l’un des chefs les plus avancés du socialisme aux hommes de son parti qui songeaient dès ce moment à renverser l’Assemblée nationale[2].

Une Assemblée, même médiocrement révolutionnaire, n’aurait jamais pu faire autant de mal à la République qu’en firent ces prédications et plus tard ces attentats contre la souveraineté du peuple, dont le premier signal partit malheureusement de la presse républicaine.

M. Ledru-Rollin avait commis, ainsi que nous l’avons vu, une faute capitale en remettant au club des clubs, dirigé par des hommes dont les uns étaient suspects et les autres sans capacité, le choix des agents envoyés dans les départements pour influencer les élections. Ces agents, inconnus ou trop connus dans les différentes localités où ils parurent, inon-

  1. Beaucoup de paysans, dans les campagnes reculées, s’étonnaient de cette liste de noms imprimés qu’on leur remettait et disaient naïvement : « Mais le gouvernement a déjà choisi, pourquoi nous fait-on voter ? »
  2. Raspail, l’Ami du peuple, avril 1848. M. Louis Blanc, dans les Pages d’histoire, ch. xv, exprime la même pensée. « Ce n’est point à l’intérêt du moment que se doit mesurer l’importance des principes qui régissent les sociétés ; le suffrage universel repose sur la notion du droit, et rien que dans la reconnaissance solennelle du droit il y a un fait d’une portée immense. »