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HISTOIRE

Par malheur, cette politique si simple ne fut pas comprise par les comités électoraux républicains et par leurs agents. Ils voulurent à toute force révolutionner, républicaniser, c’était leur expression, un pays si profondément démocratique qu’il n’y avait qu’à le laisser aller à sa pente naturelle et à le préserver de toutes les oppressions, pour que la république fût fondée.

L’immense force jetée tout à coup dans la balance du côté du peuple par le suffrage universel, qui obligeait tous les partis d’entrer en rapport avec lui, c’était là, dans les conditions de temps nécessaire pour toute œuvre naturelle ou humaine, la révolution véritable. Le résultat des premières élections, dût-il même ne donner qu’une Assemblée plus mitigée encore et moins républicaine que ne le fut l’Assemblée constituante, le mal était beaucoup moindre pour la démocratie que celui de montrer, comme le firent les meneurs de clubs, le parti républicain en contradiction flagrante avec son propre principe[1], le répudiant, le foulant aux pieds, s’efforçant d’entraîner la démocratie dans des voies où elle n’aurait plus été autre chose qu’une révolte perpétuelle de toutes les minorités contre toutes les majorités, c’est-à-dire, une constante anarchie.

Sans doute, le mal était grand de donner au peuple l’exercice d’un droit préalablement à l’éducation qui lui en aurait enseigné le fondement et le but. Il aurait fallu, comme le dit Jean-Jacques, « que l’esprit social, qui doit être l’ouvrage de l’institution, présidât à l’institution même, et que les hommes fussent avant les lois ce qu’ils devaient devenir par elles[2]. » Mais cela n’était pas, cela ne pouvait pas être. Il avait été démontré, sous le règne de Louis-Philippe, que

  1. Il est remarquable que le langage de la presse réactionnaire et le langage des journaux ultra-radicaux étaient à ce moment le même. Les journaux royalistes protestaient aussi contre ce qu’ils appelaient une fausse représentation nationale. (Voir l’Assemblée nationale, no du 8 mars 1848 et des jours suivants.)
  2. Contrat social, v. II, ch. VII.