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HISTOIRE

geste impérieux de son bras frêle et jusqu’au sourire de sa lèvre de Méduse, arrachaient au public des applaudissements enthousiastes. Mais la réflexion qui succédait à l’entraînement ne demeurait pas satisfaite. Au lieu d’atténuer l’anachronisme qui plaçait dans la bouche d’une république pacifique des paroles de haine et de vengeance, mademoiselle Rachel en outrait l’accent. Sous la beauté sereine de la forme grecque qu’elle avait acquise par l’étude, éclatait le sombre génie de la race juive dont elle est issue. On ne sentait vivre en elle que l’imprécation. Sa voix gutturale semblait altérée de sang. Son œil fixe guettait la proie. Ni la pensée ne rayonnait à son front morne, ni le cœur ne battait sous le pli droit et immobile de sa draperie de marbre. Les anneaux déroulés de sa chevelure en désordre apparaissaient au regard fasciné comme les ondulations des serpents maudits. Cette personnification dramatique de la Némésis révolutionnaire formait un contraste frappant avec les sentiments du peuple, auquel on imposait d’y reconnaître et d’y applaudir sa propre image. Jamais, cependant, le progrès des mœurs ne fut plus sensible qu’à ces représentations populaires, où la politesse, l’attention émue de cet auditoire en blouse et en veste, la vivacité et la justesse de ses applaudissements, le montraient accessible à toutes les nobles curiosités, passionné pour la vraie grandeur, pénétré de ce respect des maîtres et de ce respect de soi, qui est la marque certaine du sens moral.

Si les arts plastiques ne parvenaient pas à imaginer la figure de la République, il ne fallait pas attendre que l’art musical en rendît l’accent. À part des effets de rhythme variés et saisissants, mais toujours d’inspiration guerrière, les musiciens appelés à concourir pour la composition de chants patriotiques ne trouvèrent rien qui méritât d’être retenu. Il devint évident, pour tous ceux qui, dans ces temps de bouleversements politiques, gardaient la faculté de s’occuper du mouvement des arts, que la République, non plus que la monarchie du dix-neuvième siècle, ne ver-