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HISTOIRE

M. Ledru-Rollin n’avait pas craint, à cet égard, un peu d’ostentation en signant, le 24 février, au plus fort de la mêlée révolutionnaire, dans un moment où sa propre existence, celle de Paris, l’existence même de la République et de la société semblaient menacées, un décret qui fixait au 15 mars l’ouverture de l’exposition annuelle de peinture, de sculpture et d’architecture.

À peu de jours de là, il nommait à la direction des Musées M. Jeanron, qui devait y marquer son passage par une excellente classification, selon les écoles et les siècles, des tableaux disséminés auparavant sans méthode, sans goût et sans profit pour l’étude de l’art. Enfin, M. Ledru-Rollin faisait ouvrir un concours de musique pour les chants républicains, et un autre concours d’esquisses peintes et modelées, de médaillons et de timbres gravés pour une figure symbolique de la République. Dans le même temps, le Théâtre-Français recevait l’ordre de donner des représentations gratuites pour le peuple.

De cet appel adressé aux artistes, de ce louable effort pour attirer leur attention sur le peuple, il ne devait malheureusement ressortir, pour l’observateur attentif, qu’une seule chose : l’absolue incapacité des arts à créer l’image, la forme sensible d’une idée qui n’est plus ou qui n’est pas encore vivante dans la généralité des esprits. La même fatalité, inexplicable pour le vulgaire, qui rend aujourd’hui la main de l’architecte inhabile à bâtir des temples ou des cathédrales, qui éteint sous le pinceau et sous le ciseau de nos artistes le courroux de Jéhovah ou la divinité du fils de Marie, glace leur inspiration quand ils cherchent un symbole aux vagues tendances du dix-neuvième siècle. Dans l’étude même de la métamorphose qui s’accomplit, l’intelligence pure, la raison abstraite trouvent un vaste sujet de méditation et la satisfaction qui leur est propre ; mais l’art hésitant, déconcerté, inhabile à rendre par l’image le mouvement indéterminé d’une société qui se transforme à son insu par la science et par l’industrie,