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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

avait fait passer dans les mairies des ordres secrets, afin que les gardes nationaux prévenus se tinssent prêts à un rappel général des légions. Vers onze heures, le général Changarnier était accouru au siége du gouvernement pour offrir ses services ; autorisé par M. Marrast, à qui un pareil auxiliaire venait bien à point, il prenait des dispositions militaires à l’Hôtel de Ville.

C’était par le plus grand des hasards que le général Changarnier avait appris les dangers qui menaçaient le gouvernement. Il était allé au ministère des affaires étrangères, afin de presser son départ pour Berlin, où M. de Lamartine se disposait à l’envoyer en mission. Ne trouvant pas le ministre et voyant sur tous les visages un trouble extraordinaire, il en demanda le motif, et sur l’invitation de madame de Lamartine, qui croyait son mari à l’Hôtel de Ville, il s’y rendit en hâte. M. de Lamartine n’y était pas arrivé encore. Il avait veillé toute la nuit précédente, en proie à une tristesse profonde, recevant d’heure en heure les rapports les plus alarmants, persuadé que le jour qui se levait serait le dernier de la République, telle qu’il l’avait voulue, et le dernier aussi de sa propre existence. Les nombreux agents envoyés par lui dans les réunions d’ouvriers afin d’y réveiller les sympathies populaires et d’organiser, au sein même de la manifestation générale, une manifestation en sa faveur, avaient rencontré l’accueil le plus froid. M. Ledru-Rollin l’évitait depuis quelques jours ; les partisans du ministre de l’intérieur, réunis à ceux de MM. Louis Blanc et Blanqui, ne pouvaient manquer de déterminer un mouvement des masses si formidable qu’il n’y avait pas moyen de songer à en triompher. Ainsi pensait M. de Lamartine, et, croyant sa dernière heure venue, il s’y préparait avec calme. Ses dispositions testamentaires étaient faites ; ses amis devaient conduire sa femme dans un asile sûr ; tous ses papiers compromettants étaient brûlés ; son sacrifice intérieur était accompli. Déjà il se levait pour se rendre à l’Hôtel de Ville, quand, la porte de son