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HISTOIRE

compromettre gravement les intérêts de la démocratie. Ils convinrent entre eux qu’il était urgent de faire ajourner des élections dont on ne pouvait pas se rendre maître, et qu’il faudrait, pendant la prolongation de l’état provisoire, saisir la première circonstance propice pour renverser la majorité du gouvernement et remettre un pouvoir dictatorial aux hommes les plus prononcés du radicalisme et du socialisme. De cette conception impolitique, des trames, des intrigues et des complots qu’elle fit ourdir dans l’ombre, nous allons voir sortir au grand jour un dénoûment inattendu qui changera le cours des événements et sera pour le prolétariat le commencement d’une série d’échecs, dans lesquels il perdra peu à peu les avantages qu’il avait conquis en quelques heures et dont il avait usé avec générosité, il est vrai, avec grandeur, mais sans discernement ni prévoyance.

L’effet instantané de la journée du 17 mars avait donné dans le conseil du gouvernement provisoire une prédominance marquée à MM. Louis Blanc et Ledru-Rollin ; ni l’un ni l’autre n’en surent tirer parti.

M. Louis Blanc, qui manquait d’instinct politique, se contenta d’une démonstration vaine en faveur des ouvriers et d’une mesure dont l’utilité était douteuse. À sa demande, le gouvernement provisoire rendit une visite officielle à la réunion du Luxembourg et autorisa l’envoi dans les départements de quelques ouvriers en qualité d’agents électoraux. Après quoi M. Louis Blanc, sans plus se concerter avec M. Ledru-Rollin, ni avec aucun des autres chefs révolutionnaires, reprit isolément ses conférences, où beaucoup de paroles, et très-éloquentes, accusaient des résolutions peu judicieuses et nourrissaient dans le prolétariat des illusions dont tous les esprits clairvoyants apercevaient déjà l’inévitable, le prochain réveil.

De son côté, M. Ledru-Rollin, bien que mieux informé de l’état général des affaires et plus disposé que M. Louis Blanc à comprendre, du moins par moments, ce qu’exigeait la