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HISTOIRE

On se rappelle qu’il y avait alors à Paris un grand nombre de proscrits de toutes les nations : allemands, belges, italiens, polonais, etc. La persécution exalte et l’exil rend crédule. Tous, à la nouvelle des révolutions accomplies chez eux, conçurent les espérances les plus outrées. Beaucoup eurent la pensée funeste de rentrer à main armée dans leur patrie et d’y proclamer la république. Des députations incessantes vinrent à l’Hôtel de Ville, bannières déployées, demander dans ces vues, au gouvernement provisoire, des moyens de transport et des armes. Ils étaient encouragés dans leurs prétentions par les orateurs des clubs[1], et ils s’emportèrent plusieurs fois en menaces, parce que les réponses du gouvernement n’étaient pas conformes à leurs désirs. M. de Lamartine, fermement résolu à ne point favoriser des entreprises dont il n’attendait rien de bon, prenait à tâche, par ses discours aux émigrés et par ses avertissements aux cours étrangères, de bien établir que la France n’interviendrait point de cette façon dans les affaires européennes. Sa réponse aux Irlandais fit hausser la rente à Londres. La hauteur de sa réponse aux Polonais montra qu’il portait jusqu’à l’excès le soin de rassurer les puissances. Quand les Allemands et les Belges firent leurs préparatifs de départ, il en prévint l’ambassadeur de Belgique et le ministre de Bavière. Sur le bruit d’une expédition de Savoisiens qui s’organisait à Lyon, il fit offrir au roi de Piémont de protéger par un corps de troupes françaises la frontière de Savoie. Mais une telle manière de voir et d’agir était absolument opposée à l’esprit qui régnait

  1. Cependant, même dans les clubs les plus violents, le bon sens et la fierté nationale se révoltèrent plus d’une fois à ces exigences des corps-francs. Un jour que M. de Bornsted venait demander au club Blanqui des armes pour l’expédition du grand-duché de Bade, il lui arriva, dans la chaleur de l’improvisation, de blâmer le gouvernement provisoire et de dire « qu’on aurait pu donner des armes en cachettes. » De violents murmures l’obligèrent à se rétracter et à déclarer qu’il respectait les motifs du conseil. Le peuple ne souffrait pas volontiers alors qu’on lui parlât mal de son gouvernement.