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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

notables sont désignés pour en faire partie. L’Allemagne tout entière va changer de face.

Ces nouvelles merveilleuses, ou plutôt ces éclairs qui sillonnaient à la fois tous les points de l’horizon embrasé, causaient à Paris une sensation extraordinaire. On y voyait, non sans raison, l’indice certain d’un état tout nouveau de l’Europe. Les prédictions des socialistes s’accomplissaient plus rapidement qu’ils ne l’avaient pensé eux-mêmes. Les peuples, en s’affranchissant, se reconnaissaient frères. Par ce bel enchaînement du progrès humain que la Révolution française avait si bien pressenti, partout la liberté révélait la fraternité. Si la surface géographique du continent restait encore ce que l’avaient faite les traités de Vienne, si les royaumes et les principautés gardaient leurs noms et leurs limites, on sentait que les esprits, devenus libres, franchissaient ces frontières, formaient entre les peuples d’autres associations, d’autres groupes d’idées, et préparaient en quelque sorte, par un mouvement commun à toute l’Europe et analogue à celui qui fonda l’église chrétienne, une catholicité nouvelle de la raison. Là, où les hommes aveuglés par la passion ne voulaient voir que le travail d’une propagande d’émigrés et l’agitation factice de quelques émissaires des sociétés secrètes, les esprits attentifs discernaient une œuvre historique. Les ennemis mêmes de la révolution ne s’y trompaient pas. « D’où vient, disait alors un recueil que j’ai fréquemment occasion de citer, parce qu’il est l’expression la plus intelligente de l’opinion stationnaire, d’où vient cet empire que la jeune République exerce déjà sur le vieux monde, où elle est à peine entrée ? D’où vient le charme qui transforme, à sa seule apparition, les anciennes sociétés politiques ? C’est qu’elle a dit le mot du siècle dès son premier pas ; c’est qu’elle a dit ce que la monarchie constitutionnelle, égarée dans ses voies par de fausses directions, ne voulait pas et ne savait plus dire : elle a dit qu’elle s’appelait la démocratie[1]. »

  1. Revue des Deux-Mondes, no du 1er avril 1848.