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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

un gouvernement dictatorial et des institutions communistes.

Quoique ses doctrines, fortement liées dans un système de philosophie panthéiste, allassent à un communisme radical et qu’il considérât le droit de propriété comme une illusion de l’amour-propre, il s’élevait en toute occasion contre la pensée d’une réforme immédiate et violente ; il combattait la loi agraire, qu’il appelait une chimère de répartition, une idée absurde. « Ceux qui rêveraient la réforme sociale par le bouleversement subit de la propriété, disait-il, seraient plus que des coupables ; ce seraient des insensés ce seraient des sauvages qui se vengent de leurs ennemis en dévastant leurs moissons, et qui couronnent de leur propre mort le succès d’une stupide vengeance. L’égalité des droits est une loi immuable, l’égalité des biens ne durerait pas deux heures. »

Ce qu’il y avait d’absolu dans l’expression même de ses idées les plus sages, son caractère ombrageux, son austérité isolaient Raspail des partis et des coteries. Il exerçait un ascendant personnel très-grand sur la population des faubourgs. Son savoir médical le mettait à même de secourir efficacement, à toute heure, des maux et des souffrances que les rhéteurs des clubs se contentaient de peindre et que les ambitieux savaient exploiter ; mais c’était une action morale, isolée, secrètement jalousée et contrecarrée par les chefs de parti, et qui n’eut jamais l’initiative dans le mouvement révolutionnaire. À l’exception de M. Kersausie, noble breton[1], son inséparable compagnon dans la lutte et dans la captivité, on ne voyait autour de M. Raspail que les soldats obscurs de la démocratie. Les membres les plus ra-

  1. Kersausie (Théophile-Cuillard de Latour-d’Auvergne), était capitaine de hussards en 1830. Il donna sa démission et entra bientôt dans les sociétés secrètes. Condamné à la déportation, en 1835, il revint en France après l’amnistie, alla combattre en Espagne contre les carlistes et passa de là en Italie, où il apprit, dans les premiers jours de mars 1848, la proclamation de la République.