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HISTOIRE

larité au maintien de la paix et se retourner résolûment contre la révolution qui l’avait mis sur le trône, les hommes d’État de tous les pays le portèrent aux nues ; sa sagesse devint proverbiale ; on l’appela le Napoléon de la paix ; on en vint à le regarder comme le régulateur de l’ordre européen. Le bruit de sa chute étonna les souverains plus encore que ne l’avait fait le retentissement de son élévation.

Ce changement dans les dispositions des têtes couronnées était surtout remarquable à la cour de Russie. L’empereur Nicolas avait mis fin, en ces derniers temps, aux sarcasmes et aux épigrammes que, pendant plusieurs années, il s’était plu à lancer, à tout propos, contre Louis-Philippe et sa famille. Depuis qu’il avait vu tous ses desseins favorisés par l’attitude passive de la diplomatie française, qui n’osait même plus parler de la Pologne, il s’était singulièrement adouci. On assure que la connaissance personnelle qu’il fit, dans son voyage en Italie, du duc de Bordeaux et de ses conseillers, acheva de lui ôter la pensée d’une restauration[1] ; à dater de ce jour, le ton de ses agents auprès du gouvernement français marqua, dans plusieurs circonstances, un désir de rapprochement très-sensible. L’indifférence qu’il affecta en public lorsque se répandirent, à Saint-Pétersbourg, les premières nouvelles d’une insurrection à Paris, ne trompa que peu de gens ; bien qu’il répétât d’un ton railleur « qu’après tout les Français étaient les maîtres chez eux ; que peu importaient à la Russie les fantaisies parisiennes, etc. ; » bien qu’il voulût montrer au bal et au spectacle un front serein, il ne commandait pas à sa pâleur qui trahissait une préoccupation secrète. Toute la ville avait les yeux sur lui. Les hommes de cour, voyant

  1. Selon le bruit général, l’empereur Nicolas aurait paru charmé de la dignité parfaite, de la politesse et même de l’intelligence du duc de Bordeaux ; mais, en même temps, il n’aurait pas dissimulé qu’il ne lui supposait pas les qualités d’esprit et de caractère propres à gouverner la France dans des conjonctures aussi difficiles.