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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

surabondamment que M. Ledru-Rollin ne voulait, pas plus que M. de Lamartine, de ces moyens extrêmes. Il redoutait la domination des clubs. Nous venons de le voir, à Marseille, à Lyon, à Toulouse, repousser presque constamment les dénonciations qui lui arrivaient contre les commissaires accusés de tiédeur politique. Il y avait donc contradiction flagrante entre ses paroles officielles et ses actes, entre les pouvoirs illimités qu’il proclamait et l’autorité absolument nulle qu’il donnait en réalité ; il en résulta cet effet déplorable qu’il fournit à ses ennemis mille prétextes d’accusation contre ses agents, en même temps qu’il ôtait à ceux-ci la force avec laquelle ils auraient pu triompher.

La négligence était aussi grande au ministère de l’intérieur que l’indécision ; la plupart du temps les demandes des commissaires demeuraient sans réponse[1] ; souvent le télégraphe apportait dans l’espace de quelques heures des ordres et des contre-ordres, des révocations et des réintégrations qui jetaient le plus grand trouble dans les affaires. Entre les deux partis que le gouvernement provisoire avait à prendre, administrer doucement, prudemment, sans secousse, ou gouverner avec une énergie toute révolutionnaire, il ne sut se tenir fermement ni à l’un ni à l’autre, et l’on vit pendant deux mois entiers, dans le pays le plus centralisé du monde, l’étonnant spectacle d’une multitude de tiraillements partiels et de rébellions locales ; l’opinion tantôt refoulée, tantôt emportée sous la main d’hommes divisés entre eux ; la nation entière agitée vainement d’un mouvement confus, contraire à ses instincts, et qu’elle ne parvenait pas à s’expliquer à elle-même.

  1. À Besançon, par exemple, où, sur une question d’étiquette entre les commissaires et le général Baraguay-d’Hilliers, une émeute de la garde nationale avait forcé les commissaires à quitter la place, le commissaire général, M. J. Demontry, ayant adressé un rapport (8 avril) au ministre, ne reçut aucune réponse.