Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Le général Bourjolly, qui remplaçait M. de Lascours dans le commandement de la division, sentait l’autorité militaire lui échapper et ne répondait plus de rien. Presque journellement les scènes d’insubordination se renouvelaient dans les casernes[1] ; une insurrection générale des soldats paraissait imminente.

Le 29 mars, un bataillon du 13e de ligne et quelques soldats du 12e léger, las des consignes sévères qui leur étaient imposées, entrèrent en révolte contre leurs officiers ; après avoir passé la nuit à chanter la Marseillaise, ils allèrent le matin rejoindre sur la place Bellecour les groupes populaires réunis pour escorter les ouvriers étrangers qui se disposaient à rentrer dans leur patrie. Au retour, se formant en colonne, les soldats se promenèrent par la ville, musique en tête, précédés d’un large écriteau sur lequel on lisait la demande d’élargissement d’un de leurs camarades, le fourrier Gigoux, du 4e régiment d’artillerie, emprisonné la veille pour cause d’insubordination. La colonne, conduite par un maréchal des logis de ce même régiment d’artillerie, se présente devant les portes de la caserne ; elle menace de les enfoncer si l’on ne livre immédiatement le prisonnier. Le général Neumayer paraît alors à l’une des fenêtres, harangue les soldats et le peuple, s’engage à demander, en leur nom, au général Bourjolly la liberté du sous-officier. Mais la foule défiante ne se paye pas de cette promesse ; elle exige du général qu’il se rende sur l’heure avec elle à l’hôtel du lieutenant général. Celui-ci, prévenu de ce qui se passe, fait ouvrir les portes, annonce à la foule que la grâce est accordée, et qu’il vient d’envoyer chercher en poste à Grenoble le prisonnier.

Le peuple, satisfait de cette concession, se retire ; mais ce n’était pas l’affaire des clubs qui entendaient tirer un meilleur parti de cet incident. Le 13 mars, dans la nuit,

  1. Le général Rey, commandant de l’artillerie, et M. Arago s’entre-accusèrent plus tard, dans une polémique très-vive, de ces scènes regrettables.