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HISTOIRE

par lui à la Croix-Rousse, et composée du maire, du conseil municipal, des chefs de la garde nationale, de plusieurs ouvriers influents, se montra favorablement disposée ; il obtint sans beaucoup de difficultés la promesse que les forts seraient rendus le jour même. Mais, comme il se disposait à rentrer dans Lyon, M. Arago, qui était venu seul et à pied à la Croix-Rousse, se voit tout à coup entouré d’une foule immense qui crie : À la trahison ! et s’oppose de force à son passage. Il essaye de haranguer cette foule et de lui faire comprendre l’utilité de la mesure qui vient d’être adoptée par le conseil municipal ; mais des cris redoublés étouffent sa voix. Une trentaine d’hommes furieux ferment les grilles de l’octroi, saisissent M. Arago, le poussent contre le mur, le couchent en joue et menacent de le fusiller sur l’heure, à moins qu’il ne jure au peuple de lui laisser les forts. Cependant l’alarme s’est répandue, on entend sonner le tocsin de la ville, une compagnie de Voraces paraît. À cette vue, la foule se range, et le commissaire, délivré, est reconduit solennellement à la Préfecture.

Le lendemain, une longue procession d’hommes, de femmes, d’enfants, descend de la Croix-Rousse, tambours et drapeau en tête, défile devant l’Hôtel de Ville où M. Arago, prévenu de cette manifestation, vient recevoir le témoignage des regrets que causaient à la population les violences dont il avait failli être victime. Les trente hommes qui l’avaient couché en joue marchaient ensemble et portaient en signe de repentir le crêpe noir au fusil. L’un d’eux essaye de prononcer quelques paroles ; mais son émotion est trop forte, les sanglots le suffoquent, ses camarades se prennent à pleurer avec lui. Pendant que la procession défilait encore, on entendit les coups de feu que les ouvriers tiraient en l’air en remettant les forts à la garde nationale. Dans les fluctuations orageuses de ces masses indéterminées, où, pour parler avec Bossuet, tout est en proie, des colères sauvages faisaient place à des docilités d’enfant ; à des révoltes confuses succédaient des repentirs aveugles ; la raison, con-