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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ticisme et ne saurait pas le convaincre. Ce qu’il veut, ce qu’il obtient sans efforts, c’est enchanter, ravir par la beauté de l’inspiration et par des accents magiques.

Les formes extérieures de M. de Lamartine sont en parfait accord avec les idées et les sentiments dont il s’est fait l’organe. Sa taille est haute, son attitude calme, son profil d’une grande noblesse. Il y a de l’autorité dans le large développement de son front. Tout en lui décèle l’élévation, le courage. On sent là comme une native familiarité avec la grandeur.

Doué d’une clairvoyance qui tient de l’intuition plus que de l’observation et du jugement, c’est lui qui a prononcé tous les mots qui, depuis quelques années, ont caractérisé la situation du pays et prophétisé l’avenir. « La France s’ennuie, » disait-il en 1839. « Dans votre système, il n’est besoin d’un homme d’État, il suffirait d’une borne. » Et, enfin, à ce banquet de Mâcon, où nous venons de le voir entouré de si vives sympathies, c’est lui qui lance l’anathème sous lequel, six mois plus tard, la monarchie de Juillet va s’abîmer. « Si la royauté, disait-il en se servant par nécessité de la forme conditionnelle, trompe les espérances que la prudence du pays a placées, en 1830, moins dans sa nature que dans son nom ; si elle s’isole sur son élévation constitutionnelle ; si elle ne s’incorpore pas entièrement dans l’esprit et dans l’intérêt légitime des masses ; si elle s’entoure d’une aristocratie électorale, au lieu de se faire peuple tout entier ; si, sous prétexte de favoriser le sentiment religieux des populations, le plus beau, le plus haut, le plus saint des sentiments de l’humanité, mais qui n’est beau et saint qu’autant qu’il est libre, elle se ligue avec les réactions sourdes de sacerdoces affidés pour acheter de leurs mains les respects superstitieux des peuples ;… si elle se campe dans une capitale fortifiée ; si elle se défie de la nation organisée en milices civiques et la désarme peu à peu comme un vaincu ; si elle caresse l’esprit militaire à la fois si nécessaire et si dangereux à la liberté dans