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HISTOIRE

eux. Profitons d’un moment de répit pour étudier cet homme qui, tout à l’heure, va jouer un rôle si considérable et si étrange. Ne craignons pas de nous approcher bien près pour lire sur son visage et pour pénétrer dans son âme. Si nous y rencontrons des inconséquences, des faiblesses, du moins n’y découvrirons-nous rien qui ne soit ennobli par l’aspiration à la grandeur, par la générosité, par le courage.

Né à Mâcon, en 1790, d’une de ces familles nobles de province qui conservent inaltérées les pieuses traditions et la simplicité des anciennes mœurs, Alphonse de Lamartine passa toute son enfance au sein des campagnes de la Bourgogne, dans un village appelé Milly, où ses parents possédaient une maison modeste, entourée de vignobles.

Entré au collége de Belley en 1801, il y montra de rares aptitudes. Les mathématiques exceptées, pour lesquelles il éprouvait une répugnance invincible, il apprenait et devinait en quelque sorte toutes choses avec une facilité prodigieuse. Son caractère ouvert et généreux, la douceur qui se conciliait chez lui avec une volonté prononcée, lui gagnaient, à Belley comme à Milly, les cœurs les moins aisément touchés. En 1814, il entra dans la maison militaire de Louis XVIII. Le bruit et la dissipation du monde semblent n’avoir fait qu’accuser davantage, par un brusque contraste, ses penchants rêveurs. Un voyage en Italie acheva de donner l’essor à sa verve poétique. Le volume des Méditations, publié en 1820, obtint un succès inouï. La jeunesse tout entière, hommes et femmes, l’enfance même, lut ce livre et redit ces vers écrits au pied du crucifix et d’où s’exhalait pourtant je ne sais quelle mélancolie de la volupté.

À partir du jour où parurent les Méditations, M. de Lamartine dut se sentir aimé de la France et de l’Europe, comme il l’avait été à Milly et à Belley. On peut dire que sa gloire ne fut qu’une première extension d’amour ; le pouvoir auquel il devait parvenir un jour en fut une autre. Afin que ses prospérités fussent complètes, la richesse aussi lui