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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

suite, en rappelant les scènes analogues qui avaient signalé les commencements de la Révolution, jetèrent dans quelques esprits des appréhensions, des pressentiments facheux. Mais, les émeutes réprimées par la troupe, qui ne montra nulle part d’hésitation dans l’accomplissement du devoir militaire, et le danger de la disette conjuré par de nombreux arrivages, l’on n’y songea plus. Les débats de l’adresse furent pour le ministère l’occasion d’un éclatant succès.

Cependant quelques conservateurs de bonne foi, qui avaient pris au sérieux les promesses du ministère aux électeurs[1], élevaient la voix pour en réclamer l’accomplissement. Cette témérité déplut à M. Guizot. Enflé par le succès croissant de sa politique, il ne cacha pas son dédain pour ces honnêtes dupes et s’oublia jusqu’à les provoquer ouvertement à la défection. « Ceux qui ne sont pas contents de la marche du cabinet, dit-il, dans un débat relatif à une proposition de M. Duvergier de Hauranne sur l’abaissement du cens électoral, peuvent passer dans le camp de l’opposition. » Cette vive injure adressée à la plus complaisante des majorités fut l’origine d’une fraction dissidente, qui, très-peu considérable en nombre et même en force morale, car elle ne se composait guère, avec les hommes insignifiants et de bonne foi dont je viens de parler, que de frondeurs suffisants et frivoles, acquit néanmoins quelque importance par l’énergie, l’activité et l’habileté peu communes d’un homme dont elle désavouait à demi le concours : M. de Girardin[2]. Le rédacteur en chef de la Presse avait été

  1. « Tous les partis vous promettront le progrès, avait dit M. Guizot au banquet des électeurs de Lisieux, le 2 août 1846 ; seul le parti conservateur vous le donnera. »
  2. Cette petite fraction des progressistes, à laquelle M. de Girardin suggérait des ambitions hors de proportion avec sa force, avait pour guide un jeune homme épuisé par la maladie et qui mourut bientôt (M. de Castellane). M. Guizot parlait fort dédaigneusement de cette coterie. « Nous sommes bien menacés, avait-il dit un jour, nous avons contre nous un impotent et un impossible. » — « Impossible, soit, répondit M. de Girardin, mais encore plus inévitable. » Je cite ces bons