Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
62
HISTOIRE

dans les mœurs moins d’indépendance et de vertu politique. Le goût des places et l’émulation d’un zèle servile semblaient devenus les seuls mobiles d’activité dans ce pays légal auquel seul ils avaient affaire et qui leur cachait l’autre. Aussi les deux premiers ministres ne concevaient-ils pas un doute sur l’heureuse issue de la session qui s’allait ouvrir, et tout en eux trahissait, avec la confiance la plus entière, l’extrême dédain que leur inspiraient presque également et les complaisances de leurs amis et l’inhabileté manifeste de leurs adversaires.

À ne considérer que le pays légal[1], en effet, la satisfaction des ministres était parfaitement motivée. La sécurité que donne un long état de paix, le bien-être qui s’y développe, entretenaient dans les classes aisées des dispositions favorables au pouvoir. La brillante alliance du duc de Montpensier avec l’infante d’Espagne, ce succès personnel des ambitions du roi, était présentée par la presse conservatrice comme un triomphe diplomatique remporté sur l’Angleterre. « Nous rentrons dans la politique de Louis XIV, » disaient les courtisans ; « la France se relève de ses abaissements, » répétaient les gens crédules. L’opposition d’ailleurs, dans la session précédente, avait été si molle et si mal conduite que, amoindrie comme elle l’était encore par les élections nouvelles, elle ne pouvait songer à une lutte sérieuse. La bataille parlementaire se bornerait, tout le faisait présager, à de légères escarmouches, dont viendraient aisément à bout l’éloquence de M. Guizot et les habiles manœuvres de M. Duchâtel. C’était la pensée de Louis-Philippe et de tout ce qui l’entourait.

À la vérité, des émeutes très-graves, provoquées dans plusieurs départements par la cherté des grains, vinrent pour un moment troubler la sécurité du cabinet. La révolte des paysans de Buzançais et les exécutions qui en furent la

  1. C’est ainsi que, dans le langage parlementaire, on désignait l’ensemble des citoyens qui rempilaient les conditions du cens électoral.