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INTRODUCTION.

les, et préparaient de la sorte cette union des étudiants et des prolétaires qui devait se manifester sur les barricades. C’est ainsi que volontairement et involontairement, par une action lente ou rapide, par la résistance inintelligente autant que par l’attaque passionnée, tous concouraient à un travail révolutionnaire caché encore aux esprits inattentifs, mais qui se révélait de loin en loin par des signes terribles[1], et que le premier accident allait faire apparaître dans son effrayante étendue aux yeux de la société consternée[2].

On le voit, sous d’apparentes prospérités, la société française recélait dans son sein bien des éléments de perturbation, et le gouvernement de Louis-Philippe, au lieu de la soutenir dans ses efforts instinctifs vers un ordre supérieur, la livrait, par le plus triste calcul, à une désorganisation morale qui, si elle se fût prolongée, amenait, avec l’abaissement de son caractère et de son honneur, le rapide, l’irréparable déclin de son influence européenne. Car la politique du gouvernement de

  1. Entre autres la grande grève de 1840, la grève des charpentiers en 1845, les troubles de Buzançais, etc.
  2. Un rapport adressé par M. Delessert, préfet de police, au président du conseil, en date du 19 janvier 1847, constate que dans l’année 1846 les publications socialistes ont été encore plus nombreuses que pendant les années précédentes ; que la tendance vers les idées de rénovation sociale est plus vive que jamais et mérite une attention sérieuse. Il signale parmi les ouvrages dangereux : les Évangiles avec des notes et réflexions, par Lamennais ; le Système des contradictions économiques, par Proudhon ; l’Essai sur la liberté, par Daniel Stern, etc., etc. ; et termine par ces mots : « Là est la véritable plaie de l’époque, et on doit reconnaître que chaque année elle fait de nouveaux progrès. Un pareil état de choses me paraît de nature à éveiller la haute sollicitude du gouvernement. »