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DOCUMENTS HISTORIQUES

ambition et d’une petite vanité ne pouvaient avoir place. Marrast, Flocon et moi, nous avions été élus, non pas à la Chambre, mais à l'Hôtel de Ville ; nous n’étions pas, comme ces messieurs, des députés ; il s’agissait donc de savoir si la Révolution serait considérée comme parlementaire ou comme populaire. Il était d’une importance énorme que le caractère du grand mouvement qui venait de s’accomplir fût bien précisé, et le fût dès l’abord. Comme je ne suppose pas, moi, que M. Garnier-Pagès cédât a un sentiment de vanité et d’ambition, en nous voulant, Marrast, Flocon et moi, à la seconde place, son motif ne pouvait être que la crainte de voir enlever a la Révolution, par notre admission, ce caractère parlementaire auquel il tenait. Eh bien ! ce fut par un motif contraire que j’insistai, moi qui, dans la Révolution, n’entendais saluer qu’un mouvement franchement démocratique. C’était le droit révolutionnaire d’élection que je voulais faire reconnaitre. Le nier dans son résultat, c’eût été le nier dans son principe ; et ce principe, les ouvriers qui avaient confiance en moi ne m’auraient point pardonné d’en avoir fait si bon marché.

Il y avait, de plus, un intérêt suprême à ce que Marrast, Flocon et moi, nous eussions voix délibérative dans les premières mesures à adopter la proclamation de la République par le gouvernement provisoire pouvait en dépendre. La République, en effet, effrayait MM. Arago et Dupont (de l’Eure) cela n’était que trop manifeste ; M de Lamartine jusqu’alors avait passé pour légitimiste ; des bruits avaient couru sur l’adhésion de M. Garnier-Pagès à la cause de la duchesse d’Orléans trois voix de plus dans le plateau de la République pouvaient faire pencher la balance de ce côté ; sans ces trois voix, au contraire, la décision risquait d’être telle qu’elle eût mis la place publique en fureur. Et que serait-il arrivé alors ? C’étaient là des considérations d’intérêt public, s’il en fut jamais ; et mettre à la place de ces considérations puissantes de misérables prétentions ayant leur source dans l’orgueil d’un homme, c’est rapetisser l’histoire des grandes choses de ce temps au delà de tout ce qu’il est possible d’imaginer…

Vous savez, du reste, que cette qualification de secrétaires disparut le jour même où elle fut, pour la première fois, employée dans le Moniteur, et qu’elle ne nous empêcha pas d’avoir voix délibérative dès la première discussion qui eut lieu, et que notre vote compta si bien qu’il fit en grande partie la République, et que dès la matinée du 25 il ne fut plus question d’une distinction qui n’aurait pu effectivement exister qu’à la condition d’ôter à la Révolution son caractère.

Je vous ai demandé dans une de mes précédentes lettres si vous aviez sous la main mes Révélations historiques ? Je vous demanderai aujourd’hui s’il est à votre connaissance que M. Crémieux a écrit des Mémoires sur la révolution de Février ? Ces Mémoires, d’après ce qu’il a dit lui-même à mon frère, sont, point par point, la confirmation de mon récit.

…..Je ne vous ai point parlé, à propos de sources, de l’Histoire de