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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

République, régna longtemps parmi ces hommes de coups de main ; mais peu à peu, malgré une surveillance soupçonneuse, des agents secrets d’un autre chef de bande, des espions aux gages des partis se glissèrent dans leurs rangs, si bien que Caussidière n’en fut plus absolument maître et rencontra plus d’un délateur dans ce bataillon de renommée incorruptible.

M. Caussidière était activement secondé dans ses menées par un jeune homme nommé Sobrier, qui exerçait un ascendant très-étrange sur les plus violents d’entre les terroristes. À le voir, cela n’eût pas paru possible. Son visage pâle et délicat, la douceur de sa physionomie, la politesse de ses manières, ne semblaient pas le désigner pour ce rôle de chef de sectionnaires. Les plus singuliers contrastes se montraient en lui. Originaire de Lyon, fils d’un épicier chargé de famille, M. Sobrier avait été adopté par un de ses oncles, percepteur d’un village du département de l’Isère. Mais, au bout de peu de temps, il s’ennuya de la vie de bureau et partit un matin pour Paris, sans savoir le moins du monde ce qu’il allait y faire. Il était alors âgé de vingt ans, frêle de corps, timide d’esprit, royaliste et bon catholique, d’une bravoure naturelle extraordinaire.

Pendant le trajet de Lyon à Paris, la diligence où il avait pris place s’arrêta de nuit au bas d’une côte, dans le voisinage d’un puits profond et découvert ; M. Sobrier, en descendant de voiture, y tomba. On fut longtemps avant de l’en retirer. Il était évanoui, saignant, la tête meurtrie. On le tint pour mort. Quand il revint de la longue maladie qui fut la suite de cette chute, son cerveau, déjà faible, s’était affaibli encore ; il s’exalta. Bientôt, sous l’influence de ses compatriotes lyonnais, tous affiliés aux sociétés secrètes, Sobrier tourna à une sorte d’illuminisme républicain dont ses nouveaux amis surent tirer avantage, quand, par suite de deux héritages opulents, il fut devenu l’un des champions les plus riches de la cause démocratique. Entré, en 1834, dans la Société des saisons, Sobrier se trouva com-