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HISTOIRE

travaux en cours d’exécution étaient insuffisants. Les ingénieurs n’envoyaient aucun projet. À défaut de travaux sérieux, dans le seul but de ne pas laisser les brigades inoccupées, M. Émile Thomas décida de les employer aux travaux de plantation et de dessouchement des boulevards ; mais ces travaux n’occupaient pas plus de 400 hommes à la fois. Plutôt que de laisser les autres dans l’oisiveté, M. Émile Thomas les envoya chercher des arbres dans les pépinières et des outils dans les forts. Ce système de transport n’était pas économique. Les ouvriers, comprenant tout ce que ce travail avait de dérisoire, n’y apportaient ni zèle ni conscience. On les voyait passer par longues bandes, aux Champs-Elysées, sur les boulevards, chantant des chansons à boire, se moquant de leurs chefs et d’eux-mêmes, amusant les passants de leurs lazzi. Les plus honnêtes avaient la rage dans le cœur ; les autres se riaient d’un gouvernement qui les payait pour se promener tout le jour ; le plus mauvais esprit se répandait dans ces masses que l’on aurait pu si aisément conduire à d’utiles travaux et passionner pour de grandes entreprises.

Cependant, les demandes d’embrigadement continuaient toujours[1]. Les ateliers nationaux, considérés par les membres du gouvernement comme une espèce d’exutoire, leur servaient à se débarrasser des solliciteurs incommodes. Chacun d’eux, dans la prévision des élections prochaines, était bien aise d’y pratiquer des intelligences. Ces ateliers devinrent au bout de peu de temps, un assemblage hétérogène d’artistes et d’artisans honnêtes, mais démoralisés[2],

    liers de femmes, compris dans les ordonnancements du Trésor pour 1,720,000 fr.

  1. D’après le recensement opéré le 7 juin 1848, la progression des embrigadements fut : du 9 au 15 mars, 5,100 hommes ; du 16 au 31 mars, 23,250 hommes ; du 1er  au 15 avril, 36,520 hommes ; du 16 au 30 avril, 34,530 hommes. La dépense, du 5 mars au 23 mai, sous la gestion de M. Émile Thomas, s’est élevée à 7,240,000 francs. (Rapport de la commission d’enquête, v. II, p. 156.)
  2. « J’ai découvert, dans l’affligeante statistique que j’ai maintenant