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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

yeux du pays par des démonstrations exagérées de zèle pour la République, dont rougissaient tous les hommes intègres et fiers qu’elle comptait encore dans ses rangs. Les inquiétudes de la magistrature étaient bien concevables ; le principe même de son existence, l’inamovibilité, était menacé. Il paraissait à plusieurs des membres du gouvernement incompatible avec l’état démocratique, et les magistrats ne pouvaient invoquer, pour fléchir la rigueur de cette opinion, des antécédents dont les républicains n’avaient pas à leur tenir compte. Mais ces inquiétudes ne furent pas de longue durée.

Le ministère de la justice était échu à un homme dont les magistrats reconnurent aisément, sous des allures qu’il cherchait à rendre révolutionnaires, le caractère inoffensif. M. Adolphe Crémieux, né d’une famille israélite dans le Midi de la France, envoyé en 1842 à la Chambre des députés par le département d’Indre-et-Loire, avocat au conseil d’État et à la cour de cassation, apportait aux affaires une intelligence déliée, des connaissances étendues en matière de droit et de jurisprudence, de l’habileté, un esprit tolérant, une parole facile. Mais, quoiqu’il inspirât de la bienveillance, il lui appartenait moins qu’à beaucoup d’autres, peut-être, d’imposer à l’opinion et de porter la main sur les choses établies. Aussi ne l’essaya-t-il pas. Non-seulement il ne prit aucune initiative importante, mais encore, soit de propos délibéré, soit par négligence, il fit traîner en longueur les travaux d’une commission qui, sous la présidence d’un républicain éprouvé, M. Martin (de Strasbourg), préparait un projet de réorganisation générale. Il ne fit qu’un petit nombre de changements et défendit en plusieurs circonstances des magistrats menacés de suspension par les commissaires de M. Ledru-Rollin. Au bout de très-peu de temps la magistrature avait repris ses allures accoutumées ; elle se vengeait même de ses alarmes passagères par un redoublement de rigueurs contre l’esprit de la révolution et bientôt elle profita du pouvoir qu’on lui laissait