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HISTOIRE

Mais ces sacrifices énormes pour ceux qui les accomplissaient, ce denier des plus pauvres entre les pauvres produisaient une somme bien minime[1] relativement aux besoins qui allaient croissant dans une proportion effrayante. Il était urgent de trouver d’autres ressources. Par malheur, on se les créa aux dépens des intérêts qu’il importait le plus à la République de respecter. Le touchant empressement des classes pauvres à venir en aide au gouvernement aurait dû lui faire sentir, si l’esprit même de la Révolution ne l’eût dit assez, qu’il était particulièrement obligé envers le peuple et qu’à tout prix il fallait le ménager. Mais les habitudes financières transmises par les gouvernements monarchiques prévalurent sur les considérations politiques et morales. Le ministre des finances, qui avait mis son honneur à payer intégralement et à jour fixe aux rentiers de la dette inscrite l’intérêt du semestre, ne se fit pas scrupule d’ajourner les infiniment petits capitalistes dépositaires des caisses d’épargne, les nécessiteux qui vivent au jour le jour. Il arrêta le remboursement des dépôts, donnant aux déposants la somme de 100 francs en numéraire, et s’ils exigeaient le solde de leur compte, de la rente 5 pour 100 au pair (la rente en ce moment était cotée à 77, plus tard elle tomba à 51 francs) et des bons du Trésor à six mois d’échéance. Contre toute attente et toute vraisemblance, la patience du peuple soutint avec une constance admirable cette épreuve nouvelle ; pas une plainte, pas une menace ne fut proférée ; la résignation au sacrifice imposé fut aussi parfaite que l’avait été l’émulation dans le sacrifice volontaire.

Cependant la panique un moment calmée avait repris. Les conférences du Luxembourg qu’entourait une sorte de mystère, le langage officiel du ministre de l’intérieur, les discussions des clubs, la polémique des journaux révolutionnaires, jetaient de plus en plus l’alarme dans la bour-

  1. La Commission, lorsqu’elle rendit ses comptes, n’avait touché qu’un million.