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HISTOIRE

sonnels au bien public et réussit à le persuader. Cependant M. Goudchaux, dans la préoccupation constante des innovations auxquelles le gouvernement allait se laisser entraîner par M. Louis Blanc, ne consentit à garder le portefeuille qu’à la condition expresse qu’aucun des impôts en vigueur ne serait supprimé, ni même modifié, et fit sur-le-champ publier une déclaration de tous les membres du conseil dans laquelle il était dit que « le gouvernement provisoire considérerait comme une usurpation sur les droits de l’Assemblée nationale tout changement dans le système des impôts[1]. » Mais à peine eut-il pris l’engagement de rester dans le gouvernement qu’il s’en repentit. En examinant la situation financière, en écoutant les avis, les doléances, des prédictions lamentables des banquiers et des capitalistes que la peur pressait autour de lui, il se troublait, il entrait en angoisse, il voyait la France perdue, le gouvernement déshonoré. À ses yeux, il n’y avait plus de remède ; le socialisme au Luxembourg, le jacobinisme dans les clubs, le tumulte et l’agitation dans la rue, présageaient, nécessitaient la ruine publique. Il ne voulait pas du moins laisser son honneur personnel dans cette ruine.

Comme il agitait en lui-même ces tristes pensées, il apprit que le gouvernement provisoire venait d’abolir, sans l’en avoir prévenu, l’impôt sur le sel. Déjà la suppression de l’impôt sur le timbre, réclamée avec plus d’esprit de corps que de patriotisme par les journaux, l’avait fortement indisposé. Cette nouvelle violation des engagements pris avec lui porta au comble son mécontentement. Sans plus délibérer, bien déterminé cette fois à imposer sa volonté ou à quitter la place, il demanda pour le soir même une réunion générale du conseil. C’était le 3 mars. La séance s’ouvrit sous la présidence de M. Dupont (de l’Eure). Personne n’avait manqué à l’appel ; une inquiétude extrême se lisait sur tous les visages ; on s’attendait à une commu-

  1. Moniteur du 1er mars 1848.