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HISTOIRE

retour possible de l’opinion par la voie des élections générales, il faisait appel au patriotisme des princes et les exhortait à accepter d’avance l’arrêt, quel qu’il dût être, de la volonté nationale.

Soit donc que le jour douteux où ce langage plaçait toutes choses ôtât aux princes l’audace qu’inspirent les situations extrêmes, soit plutôt que leurs tendances naturelles et leur éducation les portassent à reconnaître le droit révolutionnaire et la souveraineté du peuple, toujours est-il qu’ils ne conçurent l’un et l’autre que des pensées d’obéissance et de résignation. Ils quittèrent sans effort apparent le rôle de princes pour parler et agir en citoyens. On vit à plusieurs reprises le duc d’Aumale descendre dans la cour de son palais et communiquer lui-même, sans en rien dissimuler, aux soldats et au peuple les revers de sa famille. Il contenait son émotion, réprimait avec douceur l’enthousiasme qu’inspirait sa conduite et, faisant taire les vivat qui s’adressaient à lui, il demandait qu’à son exemple on ne criât plus que : Vive la France[1] ! Le 5 mars, les deux frères s’embarquèrent avec leurs jeunes femmes et leurs enfants à bord du bateau à vapeur le Solon et firent voile sur Gibraltar, où ils se proposaient d’attendre des nouvelles de Paris. On dit qu’en prenant congé de la foule qui l’accompagnait en pleurant jusqu’au rivage, le prince de Joinville, vivement touche de ces témoignages d’affection, s’écria : « Bientôt, mes amis, vous aurez la guerre. L’Océan et la Méditerranée se couvriront de vaisseaux ennemis. Vous verrez alors arriver à l’improviste un schooner américain commandé par un jeune homme. Vous entendrez dire que ce jeune homme est le capitaine Joinville, et vous reconnaîtrez s’il est bon Français aux boulets que lancera son petit navire sur les vaisseaux des ennemis de la France. »

Après le départ des princes, le général Changarnier resta seul chargé du commandement jusqu’à l’arrivée du géné-

  1. Voir aux Documents historiques à la fin du volume, n° 13.