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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

De tout ce qui précède, il ressort que la République française ne pouvait raisonnablement redouter aucune hostilité de la part des puissances étrangères et que personne ne songerait à l’inquiéter dans ses affaires intérieures. S’ensuivait-il qu’elle dût profiter de ces circonstances pour prendre l’offensive et, déclarant les traités de 1815 rompus par le seul fait de son avènement, ranimer dans la population l’esprit de conquête, franchir la frontière, tenter de s’emparer à main armée de la rive gauche du Rhin, de la Belgique et de la Savoie ? Je ne crois pas que personne en France eût, au mois de février 1848, une aussi téméraire ambition. Cette politique napoléonienne aurait été en opposition complète avec les tendances prononcées du pays. Si une minorité imperceptible d’ultra-républicains en parlait bien haut, c’était par habitude révolutionnaire encore plus que par conviction sérieuse. L’influence du règne de Louis-Philippe avait considérablement modifié sur ce point, plus que sur tout autre, le caractère national. L’activité française s’était tournée vers l’industrie. Les inclinations de la bourgeoisie n’étaient que trop naturellement portées à la paix. Pour intéresser le prolétariat, devenu indifférent aux questions de politique pure, à la guerre de conquête, il eût fallu donner à cette guerre un caractère de propagande sociale, c’est-à-dire déclarer qu’on marchait à la délivrance du prolétariat dans toute l’Europe. La pensée d’une telle entreprise ne pouvait venir ni au gouvernement ni à aucun parti. Pour conduire une guerre d’agression purement politique, tout manquait à la fois, soldats, argent, crédit. On verra tout à l’heure combien était faible l’effectif de notre armée et quelles finances nous léguait le gouvernement de Louis-Philippe. On eût été contraint de recourir aux ressources extrêmes sans aucun des grands moyens d’action de la première révolution. Dans la nécessité d’abolir immédiatement des impôts très-productifs mais très-impopulaires, la République n’avait plus, comme en 1793, trois milliards de biens à saisir ; l’adoucissement des mœurs et