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HISTOIRE

Il avait fait passer devant les yeux de son peuple jusqu’à l’en éblouir mille images de liberté, mille chimères d’ambitions nationales. Tout en se croyant profondément religieux, sous les dehors d’une sollicitude paternelle, il avait abusé de la manière la plus détestable de cette piété pour le souverain si naturelle aux peuples germaniques. Toutes ses promesses, il les avait successivement éludées ou violées ; tout son libéralisme littéraire, il l’avait fait tourner au profit d’un absolutisme politique d’autant plus odieux qu’il n’avait pas le courage de se nommer par son nom. En six années, ce prince ingrat, gâté par son peuple et par la fortune, était parvenu à user jusqu’aux derniers restes d’une étonnante popularité. Toutes les classes, toutes les opinions, tour à tour flattées et jouées, s’étaient également retirées de lui. Le mécontentement général éclatait et déjà, comme son rival l’empereur d’Autriche ; le roi Frédéric-Guillaume, se voyant menacé au cœur même de ses États, prêtait l’oreille aux suggestions de la Russie. Le tzar Nicolas s’insinuait dans les conseils du cabinet de Berlin avec plus de facilité encore qu’il n’en avait trouvé à pénétrer les secrets du cabinet de Vienne. Le peuple prussien s’en indignait ; par haine de la Russie, il exagérait l’expression de ses sympathies pour la France. De là l’impossibilité radicale pour le roi Frédéric-Guillaume de faire la guerre. Une guerre d’ambition contre l’Autriche, dans laquelle il eût été soutenu par l’esprit national, lui était interdite par sa menaçante alliée la Russie ; une guerre de coalition avec la Russie et l’Autriche contre la France eût été le signal d’une révolution intérieure plus terrible peut-être que ne l’avait été la première révolution française.

La pensée d’une guerre continentale ne pouvait être sérieusement conçue que par l’empereur Nicolas. Seul entre les monarques européens, ce prince représentait encore dans son empire l’orthodoxie religieuse et politique d’une souveraineté absolue. Le passé et l’avenir de la nation russe se personnifiaient en lui. Malgré son origine allemande