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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

sécutions subies, fixaient le taux des services rendus, sollicitaient au nom de leur pauvreté ou menaçaient au nom de leur influence sur les masses, le ministre de la République se voyait à leur égard dans une situation assez analogue à celle où s’étaient trouvés les ministres de la Restauration en présence des vieux émigrés. Une aristocratie d’un nouveau genre,’ mais aussi exclusive, aussi arrogante qu’aucune autre, s’imposait à lui. Les ultra-républicains de 1848, infatués à l’égal des ultra-royalistes de 18 ! prétendaient, sous prétexte de puritanisme, éloigner des emplois et des places tout ce qui n’avait pas été éprouvé depuis 1850 dans les complots ou du moins dans les affiliations secrètes. M. Ledru-Rollin n’avait pas une volonté assez bien assise pour résister à de semblables violences. Nous l’avons vu déjà, le ministre de l’intérieur possédait un ensemble d’avantages très-propres à le signaler dans les rangs de la démocratie militante, mais, du moment qu’il fut porté au gouvernement, ces avantages devaient perdre beaucoup de leur valeur par l’absence d’une qualité qui relie et couronne en quelque sorte toutes les autres M. Ledru-Rollin manquait d’autorité. Ni sa vie privée qu’il n’avait pas su plier à une règle assez sévère, ni son patriotisme sincère mais emphatique, ni son caractère ouvert et généreux mais sans fixité, ni ses connaissances plus apparentes que solides, ni même sa droiture naturelle trop souvent altérée par le désir excessif de la popularité, ne le rendaient propre au commandement. Il avait conscience de cette incapacité et, pour échapper au malaise qu’elle lui causait, il mettait en œuvre un artifice familier aux caractères dont l’ardeur n’est ni soutenue ni tempérée par le jugement. Il outrait son langage, il enflait sa voix ; il affectait des allures despotiques. Craignant de ne pouvoir imposer le respect, il voulait imprimer la terreur. Ne se sentant pas assez fort pour conduire la révolution, il la voulait brusquer. Là gît tout le secret de ses contradictions et de ses inconséquences. Dès qu’il eut entrevu le succès de sa tactique, dès qu’il