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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

de la société officielle ont pu seuls accuser d’intolérance révolutionnaire une mesure de prudence et de convenance commune à tous les gouvernements. Ce qu’on peut plus justement reprocher au ministre de l’intérieur, c’est de n’avoir pas porté dans son choix tout le discernement souhaitable. La faiblesse naturelle de son caractère et son tact politique trop peu exercé l’entraînèrent en des erreurs dont l’établissement de la République eut à souffrir. Il se laissa circonvenir par des influences subalternes. Il y eut dans l’ensemble de ses choix peu d’homogénéité, dans les instructions qu’il donna peu de précision. Toutefois les fautes des commissaires ne furent ni aussi graves ni aussi nombreuses qu’on l’aurait pu craindre dans une situation où la plus grande hâte et la plus parfaite prudence étaient à la fois commandées. Et l’on devra plutôt s’étonner des erreurs évitées que des erreurs commises, si l’on vient à considérer la multiplicité des charges et la rareté des hommes auxquels il convenait de les confier à ces premières heures décisives de la République.

Le parti républicain, après la mort d’Armand Carrel et de Godefroy Cavaignac, était assez riche en talents oratoires et littéraires, mais pauvre en capacités politiques. Au premier rang dans l’estime générale paraissaient quelques hommes de cœur dont le sentiment faisait toute la force. C’étaient de ces natures plus généreuses que réfléchies qui croient mener les sociétés par l’enthousiasme et comptent sur l’esprit de sacrifice, comme sur un état permanent de l’âme humaine, pour établir dans le monde le règne de la vertu. Ces patriotes sincères, dont Barbès était le type, ne connaissaient pas le pays auquel ils se dévouaient ni n’en étaient connus. Exaltés par la solitude des prisons et par l’acharnement d’un sort toujours contraire, ils vivaient dans le monde des rêves, familiers avec l’idéal immuable de la justice abstraite, ignorant les intérêts mobiles et les droits relatifs qui gouvernent les choses humaines.