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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

timité. Et ce ne fut pas l’effervescence d’une première heure. Six semaines plus tard, les mêmes sentiments se manifestaient encore sous une forme plus authentique, plus calme et plus réfléchie, dans les professions de foi des candidats à la représentation nationale ; le 4 mai suivant, à l’heure où l’Assemblée entrait pour la première fois en séance, ils éclatèrent de nouveau par une salve répétée à vingt reprises, par un cri unanime de Vive la République !

Aujourd’hui que nous connaissons avec certitude, par de cyniques répudiations, combien ces adhésions étaient mensongères, les esprits sévères ont le droit de regretter, jusqu’à un certain point, cette unanimité dans l’expression d’un dévouement qui ne pouvait honorablement exister que dans les âmes républicaines. On a pu sans injustice flétrir cet empressement des amis personnels de la maison d’Orléans, de ces hommes qui tenaient de la royauté leur fortune, leur position, leur existence tout entière. Les consciences honnêtes ont gémi, pour l’honneur du pays, des indignités, des ingratitudes, des sentiments bas de cette société cultivée, faite pour donner l’exemple des bienséances et pour imprimer aux mœurs leur caractère. Mais peut-être a-t-on exagéré un peu la part de la lâcheté dans cette déroute morale. S’il y eut lâcheté, ce qui semble aujourd’hui trop certain, il y eut aussi entraînement, et cet entraînement, bien qu’il se soit renié lui-même, fut sincère. La grandeur du peuple était si manifeste qu’elle attira à lui jusqu’à ses adversaires. Sa magnanimité sa naïveté, touchèrent les cœurs les plus endurcis. Plus d’un qui, depuis vingt ans, raillait toute grande pensée, se laissa gagner à l’émotion générale. Ce fut là la véritable surprise de Février. Cette société froide, calculée, sceptique, parut un moment comme enlevée à elle-même. Elle sentit que ces hommes du peuple, si au-dessous d’elle par la culture, lui étaient supérieurs par la vertu. Elle leur rendit un hommage involontaire en s’engageant d’honneur à servir