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HISTOIRE

Débarrasser la place publique, se donner, pour combattre la révolution, comme on l’avait fait déjà par la création de la garde mobile, une force armée tirée du sein même du peuple, opposer ainsi le prolétariat au prolétariat, parut au gouvernement le chef-d’œuvre de l’habileté politique. La chose ne fut point discutée ; le décret, rédigé par M. Marie, fut signé sans que personne élevât d’objection.

Par l’organisation des ateliers nationaux, la majorité du conseil pensa non-seulement avoir paré aux difficultés pressantes que lui créaient la cessation du travail et la détresse des ouvriers, mais elle crut encore organiser contre M. Louis Blanc et le socialisme une force supérieure ; l’événement fit trop voir, à quelque temps de là, qu’elle n’avait fait autre chose que préparer et organiser contre elle-même la guerre sociale.

Mais toutes ces animosités, toutes ces discordes qui fermentaient au sein du gouvernement ne se trahissaient point au dehors, bien au contraire. Les traces du combat des trois jours disparaissaient rapidement. Les barricades étaient abandonnées, les pavés rentraient en place. On enlevait les arbres abattus, les bancs brisés qui obstruaient les promenades on réparait à la hâte tous les dommages. La police active de Caussidière rétablissait partout les apparences de l’ordre. Insensiblement les boutiques se rouvraient ; les voitures, dont on s’était hâté d’effacer les armoiries, pour se conformer au décret du gouvernement provisoire[1], se hasardaient une à une dans les rues fréquentées. La population qui était restée, étrangère à la

  1. M. Louis Blanc avait jugé utile un décret sur l’abolition des titres de noblesse. Ce décret déjà rendu par l’Assemblée constituante, mais qui ne spécifiait rien, pas plus en 1790 qu’en 1848, sur les peines attachées aux infractions, fut observé aussi longtemps que les amateurs de titres eurent peur. Mais la bourgeoisie, qui tenait fortement à ces distinctions de récente conquête, se hâta de les reprendre dès qu’elle crut le pouvoir faire sans danger. On vit alors une fois de plus combien il est puéril de décréter des changements dans les usages quand on ne peut rien changer à l’esprit des mœurs.