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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ment s’évanouir leurs espérances de dictature devant une force des choses qu’ils ne peuvent combattre, car ils ne savent pas même où la prendre. Nous avons vu Blanqui, presque aussitôt après l’installation du gouvernement provisoire, prêt à lancer sur l’Hôtel de Ville ses bandes armées, les arrêter, les disperser, détourner lui-même le coup qu’il venait de préparer. Quatre jours plus tard, M. Louis Blanc, appuyé sur une force populaire bien autrement considérable, fermement résolu de s’imposer avec elle et par elle à un gouvernement sans vigueur, hésite à son tour, se trouble et finit par supplier les envoyés du peuple de ratifier un décret qui déjoue leurs espérances communes. Plus tard encore, nous verrons le général Cavaignac, à la tête d’une armée victorieuse, triomphant des factions, cher à l’Assemblée nationale, laisser glisser le pouvoir entre ses mains, sans essayer de le retenir. À six mois de là, l’héritier d’un nom glorieux, porté au pouvoir par six millions de voix populaires, poussé par une croyance fataliste en son étoile, demeure aussi comme paralysé par la même force occulte, insaisissable. Cette force que personne ne nomme ni ne comprend, que tout le monde subit, c’est l’esprit même du dix-neuvième siècle.

Cependant la majorité du conseil restait consternée de ce qu’elle venait de faire. Elle s’alarmait de l’incroyable popularité de M. Louis Blanc et prenait son audace pour de la force. Il lui semblait qu’elle venait d’abdiquer et de remettre entre ses mains le gouvernement du prolétariat. Aussi entendit-elle avec une joie extrême une proposition que la situation semblait commander et qui, en venant en aide à la détresse des ouvriers d’une manière pratique, allait, selon toute apparence, contre-balancer l’influence de M. Louis Blanc et de ses théories. Le ministre des travaux publics apportait un projet d’ateliers nationaux, d’après lequel les ouvriers sans ouvrage seraient embrigadés et tenus, sous des chefs militaires, à la disposition du gouvernement.