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HISTOIRE

bourg ce qu’il avait souhaité ardemment depuis tant d’années, une chaire libre, une tribune retentissante, une prédication sans contrôle. N’y aurait-il pas folie à rejeter de pareils avantages ? M. Louis Blanc déclara qu’il se rendait à l’avis du conseil.

Les délégués du peuple furent alors introduits. Un ouvrier mécanicien parla au nom de tous : Après qu’il eut achevé sa harangue, il y eut dans le conseil un moment d’embarras. Les membres du gouvernement qui avaient le plus insisté sur l’inopportunité d’un ministère du progrès s’étaient retirés dans le fond de la pièce, comme pour indiquer que cette affaire ne les concernait pas. Seul, M. de Lamartine, toujours prêt à accepter la responsabilité de ses actes, restait sur la brèche et, voyant que personne ne se souciait de prendre la parole, il répéta au nom de ses collègues ce qu’il avait dit déjà en plusieurs rencontres. Il demanda au, ouvriers de la patience, du dévouement la République. Ceux-ci l’écoutaient à peine. Ils questionnaient du regard celui en qui ils mettaient toute leur confiance, épiant un mot, un signe qui leur apprit ce qu’ils avaient à faire.

Longtemps M. Louis Blanc détourna les yeux en silence. Enfin, il se décida à parler ; mais avec quel effort ! Son geste si prompt, auquel le commandement semblait si familier, devint hésitant, presque timide. Son œil sincère se voila. D’une voix mal affermie, il répéta, comme une leçon mal apprise, des considérations tirées d’une politique qui n’était point la sienne et prononça sur lui-même une sentence dont il comprenait toute l’ironie. Les ouvriers, déconcertés, n’en pouvant croire leurs oreilles, se turent. On leur donna lecture du décret qui éludait leur vœu, après quoi ils se retirèrent, l’esprit rempli d’incertitude, se demandant l’un à l’autre le mot de cette énigme.

C’est ici le lieu de faire remarquer comment, dans des situations et à des heures différentes de la crise révolutionnaire, des hommes très-différents aussi voient égale-