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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

M. Marrast, saisissant cette idée, dans l’espoir sans doute d’éblouir l’imagination artiste de M. Louis Blanc et de flatter l’orgueil des prolétaires, ajouta qu’il jugerait convenable d’affecter pour résidence à cette commission, afin de mieux marquer son importance, le palais du Luxembourg. Ce fut en vain ; M. Louis Blanc persista dans ses refus. « Que ferai-je, répétait-il, sans pouvoir, sans budget, sans aucun moyen de réaliser mes idées ? Que dirai-je à ce peuple qui m’aime s’il me reproche de l’avoir trompé ? On voudrait l’endormir par des paroles captieuses. On me juge propre à mieux jouer qu’un autre ce rôle perfide. On me demande de faire devant des hommes affamés un cours sur la faim. Mon honneur s’y refuse autant que ma conscience. Si le peuple doit être trahi encore, que ce soit du moins par d’autres que par moi. » Ces paroles, si bien senties, ne laissaient guère d’espoir de conciliation. Cependant M. Arago voulut tenter un dernier effort. Au nom d’une intimité ancienne, au nom de l’intérêt paternel qu’il avait porté pendant de longues années au jeune écrivain encore inconnu, il pria, il supplia d’un accent irrésistible. Il s’engagea formellement à partager avec M. Louis Blanc les dangers d’une situation si difficile et l’impopularité qui ne pouvait manquer d’en résulter. Il offrit d’être le vice-président de la commission que devait présider son collègue.

Ces prières d’un homme de tant d’autorité émurent M. Louis Blanc. D’honorables scrupules s’élevèrent en lui. L’opiniâtreté naturelle à son esprit, son ambition très-grande, son orgueil plus grand encore et roidi sous l’offense, s’apaisèrent peu à peu. Les paroles du vieillard, abondantes et persuasives, enveloppaient, pour ainsi dire, et amollissaient sa colère. Pour se disculper à ses propres yeux d’une apparente faiblesse, M. Louis Blanc faisait dans son for intérieur ces réflexions rapides : Que, si la commission des travailleurs devait rester sans effets immédiats et pratiques, elle lui donnerait, du moins, l’occasion d’une propagande immense qu’on lui offrait au palais du Luxem-