Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
384
HISTOIRE

dont le refus n’était ni moins hautain ni moins péremptoire. Sans doute, il existait entre ces deux hommes des différences profondes d’opinion ; mais cela seul ne les divisait pas. La passion de la popularité qui les commandait tous deux, la rivalité de leurs ambitions et de leurs talents les faisaient ennemis plus que tout le reste. Tous deux ils aspiraient à subjuguer le peuple et se croyaient appelés par lui à diriger la République. De là, une aversion réciproque qui devait aller croissant avec leur fortune et se perpétuer dans leur chute en récriminations amères.

Ce jour-là, M. de Lamartine resta maître de la discussion. MM. Ledru-RoIlin, Crémieux, Flocon, qui le combattaient d’ordinaire, se rangèrent de son côté. Chacun d’eux connaissait trop bien l’ascendant de M. Louis Blanc sur les masses, pour désirer d’y joindre un pouvoir au moyen duquel il lui deviendrait facile, en peu de temps, de s’élever sur leur ruine à la dictature. La création d’un ministère du progrès fut donc unanimement rejetée.

Irrité, offensé, M. Louis Blanc se leva et déclara que, puisqu’on ne faisait plus aucun état des volontés du peuple, ni lui ni son ami Albert, l’ouvrier, ne pouvaient plus faire partie du gouvernement. Cette démission, dans un moment pareil, c’était le signal du combat dans les rues. La population ouvrière, passionnément attachée à M. Louis Blanc, en le voyant quitter l’Hôtel de Ville, allait considérer comme ennemi du peuple un gouvernement dont il répudiait les actes. Un mot, un geste, et la plus formidable insurrection éclatait dans Paris.

Tous comprirent l’imminence du danger ; se pressant autour de leur collègue, ils le conjurèrent de rétracter une parole dont les suites étaient incalculables. Mais M. Louis Blanc demeurait sourd à leurs supplications ; alors M. Garnier-Pagès, s’interposant, mit en avant l’idée d’une commission de travailleurs qui, présidée par M. Louis Blanc, serait chargée de préparer, pour l’Assemblée nationale, le plan complet d’une organisation nouvelle de l’industrie.