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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

çaise s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail ;

« Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens ;

« Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice légitime de leur travail ;

« Le gouvernement provisoire rend aux ouvriers, auxquels il appartient, le million qui va échoir de la liste civile. »

Cette dernière phrase, qui méconnaissait le peuple en lui jetant comme à un esclave cupide une pâture qu’il ne demandait pas, fut ajoutée au décret par M. Ledru-Rollin[1]. Par quelle inconséquence ou par quel calcul les membres du gouvernement provisoire apposèrent-ils tous leur signature à ce décret ? Se payèrent-ils de quelque modification dans le texte ? Parce que M. Louis Blanc avait omis, à dessein sans doute, le mot droit et le mot organisation, se persuadèrent-ils que le caractère de ce décret était changé ? M. de Lamartine, satisfait de son succès oratoire, signa-t-il sans le lire, ou en le parcourant avec distraction, un décret si contraire à ses convictions intimes ? M. Ledru-Rollin, qui se montra depuis si hostile au socialisme, eut-il peur de se voir dépasser dans la voie révolutionnaire par son rival ? M. Marie, dont l’opposition avait été si vive, fut-il tout d’un coup ramené à d’autres pensées ? M. Marrast, enfin, qui écrivit son nom avec une répugnance marquée, n’eut-il pas le courage de protester contre l’entraînement général ? Ces questions demeurent sans réponse.

Toujours est-il que le décret irréfléchi qui bouleversait d’un trait, sans rien statuer sur leur constitution nouvelle, toutes les lois et tous les rapports industriels et commerciaux de la société, fut signé par la totalité des membres

  1. M. Ledru-Rollin appartenait à cette catégorie de républicains qui se font de la raison du peuple une idée médiocre et gardent, jusque dans leur recherche de la popularité, comme un reste de préjugé aristocratique, la notion de condescendance envers une nature inférieure.