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HISTOIRE

mis aux portes ; il insista sur ce qu’un aussi grand problème que celui du droit au travail ne pouvait être résolu sans le concours et l’avis de tous les hommes compétents, de tous les républicains éclairés en qui le peuple avait mis sa confiance.

À mesure que M. de Lamartine, de plus en plus calme, développait sa pensée, Marche, troublé dans sa conviction, hésitant, insensiblement ému, gagné, se tournait vers les délégués venus avec lui comme pour leur demander conseil. Ceux-ci, hommes de bonne foi et de sincérité, se rendaient à la voix de la raison et s’autorisaient l’un l’autre, du regard et du geste, à ne point insister. Marche les comprit. « Eh bien oui, s’écria-t-il enfin, nous attendrons. Nous aurons confiance dans notre gouvernement, puisqu’il a confiance en nous ; le peuple attendra ; il met trois mois de misère au service de la République. »

Chose étrange ! pendant que M. de Lamartine dissuadait les ouvriers d’une mesure prématurée, pendant que les prolétaires, par l’organe de Marche, remettaient à de meilleurs temps la réalisation de leurs vœux, M. Louis Blanc, retiré avec M. Ledru-Rollin et M. Flocon dans l’embrasure d’une fenêtre, improvisait au courant de la plume un décret qui leur accordait précisément la demande à laquelle ils venaient de renoncer. L’audace du jeune socialiste l’emportait ainsi au delà de ce qu’exigeait véritablement la raison populaire. Ce n’était plus le peuple qui l’entraînait, c’était lui qui entraînait le peuple. Cependant, en voyant entrer Marche, en entendant ses menaces, la fierté de M. Louis Blanc s’était tout d’abord révoltée et il avait partagé le sentiment de ses collègues[1] ; mais, revenu de ce premier mouvement, il félicita l’ouvrier de sa démarche et, laissant M. de Lamartine aux prises avec lui, sans s’inquiéter du résultat de leur colloque, il rédigea le décret suivant

« Le gouvernement provisoire de la République fran-

  1. Voir Pages d’histoire.